Rencontrons Tom Giangrasso, plus connu sous le nom de Withtom. À seulement 19 ans, ce photographe marseillais se distingue dans le monde trépidant du rap. Avec deux années d'expérience intense dans ce domaine, il s'est rapidement forgé un nom grâce à son talent et sa passion. Pourtant, son parcours artistique a débuté six ans auparavant, dans un cadre radicalement différent : la photographie de paysages. C'est cette fascination pour la capture de la beauté naturelle qui a éveillé en lui l'amour de la photographie. Alors comment un photographe de paysages est-il arrivé à immortaliser l'énergie brute et l'intensité du monde du rap ? Aujourd'hui, il nous fait le plaisir de partager son voyage, ses expériences et ses perspectives dans le monde de la photographie de musique.



Qu'est-ce qui t'a donné envie de devenir photographe et quand as-tu su que c'était ta passion ?

J'ai toujours été passionné de musique depuis que je suis petit.

J’aimais aussi beaucoup les images, adolescent je prenais des photos de tout ce qui m’entourais avec mon premier téléphone, lors d’un voyage j’ai emprunté le reflex canon de ma mère, c’est la que j’ai expérimenté le mode manuel, quand j’ai compris comment gérer la lumière je me suis jamais arrêté.

 

Quand on m’a proposé de réaliser mon premier clip quelques années plus tard j’ai compris que je pouvais faire de cette passion quelque chose d’encore plus complet et c’est comme ça que je ne me suis spécialisé dans la musique.

 

Tout était là il suffisait de tout assembler.


Quelles sont tes principales sources d'inspiration en photographie ? Peux-tu nous parler d'un projet qui te tient particulièrement à cœur et ce qui le rend spécial pour toi ?


J'aime beaucoup le rendu des photographies argentiques et spontanées, comme par exemple celles de Saul Leiter. Je m'inspire pas mal des tableaux impressionnistes pour la texture que je donne à mes photos, comme si l'encre était la lumière laissant une traînée. C'est une question compliquée, mais je pense qu'en général ce qui rend un projet spécial, c'est la réflexion en amont de la production des images. Le moment où tu parles avec l'artiste, où tu commences à le cerner et que les idées viennent. Tout le processus de direction artistique, traduire un son en quelque chose de visuel de manière cohérente, arriver à trouver ce qui lie les deux. Une fois que tu l'as trouvé, tu as encore plus hâte de shooter et tu peux le faire sans te perdre. C'est ça qui me plaît dans ce métier.

Récemment, tu as collaboré avec Bekar. Comment s'est faite la connexion pour la réalisation de la cover ?

J'ai rencontré Bekar cet été alors qu'il était en vacances à Marseille lors d'un open mic. Nous avions un peu discuté à ce moment-là et fait quelques portraits. Il connaissait déjà mon travail. Quand il est revenu fin février, après avoir bouclé son album, il m'a recontacté pour qu'on tente un truc au niveau du livret. Je pense que c'est le projet le plus efficace sur lequel j'ai travaillé à ce jour. À 11h, je recevais son message, à 12h, j'écoutais l'album et à 15h, on shootait. On a retouché toute la nuit en discord avec le graphiste Salu Cv qui testait la mise en page, les logos, et le lendemain c'était envoyé au label. J'ai vraiment kiffé ce projet. Il y a eu une vraie alchimie que ce soit avec Bekar, Raf son manager ou encore Salu Cv. J'ai été impressionné par la rapidité entre l' imagination et la réalisation des idées ainsi que leur ouverture d'esprit. Ils captaient direct et avaient une confiance plutôt aveugle en moi.



Comment utilises-tu le flou dans tes photographies pour créer une ambiance ou un effet particulier ? Quelles techniques préfères-tu utiliser pour obtenir des effets de flou, que ce soit en post-production ou lors de la prise de vue ?

En ce qui concerne le flou, je le fais toujours à la prise de vue, jamais en postproduction jusqu'à maintenant. Je dirais que je l'utilise à plus de 50% sur chaque shoot. Je commence d'ailleurs par faire des clichés flous pour trouver un cadre qui me plaît graphiquement parce que ça retire beaucoup de détails. Mon œil se concentre d'abord sur le côté graphique. Puis, quand j'ai trouvé ce cadre, je commence à faire du net ou du flou un peu moins prononcé, cela me permet d'ajouter les détails que je souhaite ou non. Je vois vraiment ça comme de l'encre. En faisant du flou à la prise de vue, c'est comme si on effectuait déjà une postproduction. Par exemple, en concert, un câble noir devient une traînée noire abstraite que l'œil humain ne reconnaît pas. C'est un peu comme un outil de gomme magique quand on arrive à l'utiliser, haha. Je pense que ce qui me fascine le plus, c'est d'arriver à capturer non pas un moment figé mais une seconde, une demi-seconde d'un mouvement. On sent plus la vie à mon sens, c'est comme si on assemblait une dizaine de photos en rafale en stop motion sauf que c'est sur une seule photo. Je vois ça comme prendre une vidéo et la figer sur une image tout en gardant le mouvement. Pour moi, c'est magique."




Comment décrirais-tu ton processus créatif, de l'idée initiale à la réalisation finale d'une photographie ?

En ce qui concerne le processus créatif (pour n'importe quel shooting qui tourne autour de la musique), la première étape, l’essence même de chaque création consiste vraiment à me focaliser sur la musique, ce que j’entends  me fais voir.. Dans un album, il y en a forcément un qui me parle plus. Dès que je l'entends, je note une couleur à laquelle il me fait penser. Ça commence comme ça, puis les autres viennent compléter et me font penser à des détails, différents tons de la même couleur. Après l'écoute d'un projet, j'ai en tête la couleur, l'ambiance que je veux que ça dégage. Ensuite, je discute avec l'artiste de son rapport à la musique et de ce que ce projet évoque pour lui. Très souvent, la discussion dérive sur autre chose que la musique, mais c'est là que j'arrive à cerner ce qu'il peut aimer ou non.

Après, on se met d'accord sur quelques inspirations en passant par des images Pinterest et puis on se met au shooting. Il y a aussi une grande partie d'improvisation. Je pars sur un shooting avec une idée puis en faisant telle photo, je vais partir sur autre chose et ça fonctionne en entonnoir jusqu'au moment où je regarde sur l'écran et je sens que c'est celle-ci ou cette série qui fonctionne. Une partie super importante aussi, c'est la retouche. Je fais très peu de studio, je travaille quasiment toujours à la lumière naturelle donc l'edit est primordiale pour moi. Je retouche mes photos uniquement sur Lightroom, pas de Photoshop, j'aime garder le côté naturel et ne pas ajouter trop de textures ou de couleurs qui ne sont pas présentes sur la photo brute. Je dirais que l'édit me sert à préciser l'intention, l'émotion que je veux donner à la photo, mais pas à la transformer.



Si tu devais choisir une chanson ou un morceau de musique qui représente le mieux ton style photographique, lequel serait-ce et pourquoi ?

Je dirais "Longue vie" de Laylow. Que ce soit au niveau de la production, c'est difficile de mettre des mots dessus mais la texture, le grain de voix, ce côté brut et agressif et ces longues notes m'ont toujours inspiré visuellement. D'ailleurs, personnellement, Laylow est un des artistes que je photographie le mieux. Je n'ai presque pas à m'adapter, l'attitude est là, il n'y a plus qu'à shooter !

Tu as également travaillé avec Damso. Comment s'est faite la connexion ? Peux-tu nous en dire plus sur votre collaboration ?

En juin dernier, j'ai couvert le festival Marsatac où il faisait sa première date de festivals. La sécurité nous avait sorti des crash-barrières pour son show, mais j'ai quand même tenté de shooter depuis le public. J'étais content des photos, mais ce n'était pas ma plus belle série, j'ai même hésité un moment à les poster. Ce que j'ai bien heureusement fait, puisque suite au post, Ritchie, son manager, m'a contacté. Il m'a dit que Damso et lui avaient adoré les images et qu'ils aimeraient que je couvre une date avec eux. Je suis donc monté à Paris pour faire Solidays avec eux. Ça a collé aussi bien humainement qu'artistiquement, il aimait ma vision et j'avais carte blanche. La scénographie était déjà incroyable à ce moment, donc je me suis régalé, j'ai fait quatre ou cinq dates de festivals. Ils étaient satisfaits du travail donc je suis parti en tournée un peu partout en France avec eux, en salle la scénographie était encore plus folle. C'était ma première tournée en tant que photographe donc une expérience super intéressante. Voir le nombre de personnes qui travaillent sur un projet de cette ampleur, les différents corps de métiers, j'ai fait de super rencontres ! Merci à Damso pour toutes les discussions que l'on a pu avoir, c'était très enrichissant. Je suis content de voir des artistes comme lui aussi impliqués dans l'imagination du concept visuel et les idées pour accompagner son show musical. C'est quelqu'un qui travaille vraiment sur beaucoup d'aspects, c'est assez respectable ! Bravo à Samuel Chatain et Cut-Back Live pour la conception visuelle, la réalisation à proprement parler de la scénographie, parce que j'avais vraiment à disposition un décor incroyable pour shooter ! Même en ayant fait quinze dates, je n'ai pas pu tout immortaliser donc le travail était monstrueux.
J'ai partagé peu d'images de cette tournée mais c'est pour la bonne cause..."



Comment était l'expérience de couvrir une tournée pour la première fois ? Quels étaient les plus grands défis auxquels tu as été confronté ?

J’ai toujours baigné dans la musique, mon père m’amenait voir des concerts déjà très jeune et j’étais toujours fasciné par l’atmosphère qui s’en dégage.
Ce qui m’a marqué d’entrée sur cette première tournée avec Damso, c’est de voir le nombre impressionnant de différents corps de métiers qui sont présents dans un but commun : donner aux spectateurs le meilleur show possible, visuellement, acoustiquement… et faire en sorte que l’artiste soit le plus à l'aise possible sur scène.

En effet, c’était ma première tournée donc quand j’ai commencé ce tour, j’avais couvert à mon actif quelques concerts et festivals mais uniquement avec un accès média donc souvent en crash. Quand tu bosses pour l’artiste en question, tu as accès à pratiquement toute la salle. Sur la première date, j’ai eu un gros sentiment de liberté et c’est le bonheur quand tu n'as plus cette frustration pendant laquelle tu te dis « ahh si j'étais à tel endroit, je pourrais avoir cette photo, ça serait ouf, etc. » Franchement, c’est génial quand tu es de l’autre côté des barrières, tu n'as pas ce stress constant, tu ne te demandes pas si tu vas pouvoir rester ? combien de temps ? À quel endroit ?… Artistiquement, ça libère l’esprit, tu peux penser qu'à ton cadre et vraiment créer. Mais attention évidemment, il y a des choses auxquelles il faut faire attention quand on est libre à ce point.
Comment ta manière de shooter est impactée avec une telle mobilité, je trouve que c’est difficile de trouver le juste milieu pour arriver à shooter correctement. Il faut garder en tête qu'on rate chaque seconde des dizaines de photos et il faut l’accepter, il y a une part de hasard importante je pense quand on immortalise un concert. Personnellement, sur la première date du tour, je pouvais tellement bouger partout que je courais sans arrêt, je passais des crashs aux côtés de scène, aux gradins pour essayer d’avoir une certaine diversité… et j'ai beaucoup perdu de temps en faisant ça, je m'en rends compte après coup. Il vaut mieux, quand on shoote plusieurs fois le même show, se choisir un spot favori par concert et changer à chaque date.

Il y a aussi le piège du all access. Quand tu peux aller au plus proche d'un artiste si difficilement atteignable, tu le fais, et souvent trop. Je me suis surpris plusieurs fois par réflexe à venir sur les côtés de scène très proche de l’artiste en me disant "ouais, l’angle est top juste parce que j’étais proche" et c’est humain puisque c’est un angle que peu de gens voient donc tu penses immédiatement à immortaliser, mais finalement la scéno.. elle est optimisée pour la vue depuis les gradins pile en face, donc pourquoi venir proche ?

C’est une belle expérience de remise en question, de gestion du temps et de l’espace, j’ai appris plein de choses.
Puis le problème avec les accès ou au contraire les restrictions et le succès, autour de la musique surtout, c’est qu’il y a rapidement une hiérarchie (évidemment imaginaire) qui se crée dans la tête des gens. Tel photographe a tel accès, un autre non, du coup certains se sentent frustrés, il y a une barrière qui s’installe parfois et c’est très dommage parce que des artistes, il y en a assez pour chaque photographe et encore plus en 2023, donc chacun aura sa part de travail. Quand tu gravites autour de personnalités publiques, tout le monde s’intéresse à toi d’un coup et je pense encore une fois que c’est un super exercice. J’ai beaucoup pris du recul sur le monde du rap, j’ai vu ce milieu plus d'un point de vue général que ce que j’avais pu voir sur les réseaux quand j'avais 14, 15 ans, où directement on te met les étoiles dans les yeux. Tu es jeune, tu vois plein de photographes qui postent des photos de stars, tu te dis c’est ça que je veux faire mais sur les réseaux, on ne différencie pas photographier quelqu’un et travailler avec, enfin rarement alors que c’est trop important ça ! Donc en terme de prise de conscience, incroyable expérience. Artistiquement, c’était ma période la plus chargée depuis que j’ai commencé la photo, j’ai plus de 18 000 photos de cette tournée donc j’ai été servi en édit, etc… Mais surtout, j’ai appris plein plein de choses sur l’industrie de la musique, c’est génial et c’était nécessaire pour que je me positionne mieux par rapport à la photo comme boulot, ça m’a permis de différencier travail et loisir.



Super intéressant ! Y a-t-il un appareil photo ou un objectif que tu utilises plus que les autres ? As-tu un matériel de "rêve" que tu aimerais posséder un jour ?

Je ne peux pas partir quelque part sans mon compagnon de toujours, mon Sony A7 III. Pour le choix de l’objectif, si je n'ai aucune idée de ce que je vais shooter, je prends toujours mon vieux 50mm 1.4 de chez Canon, c’est une monture argentique avec une bague d’adaptation pour numérique, ça me permet d’avoir un rendu déjà assez vintage avant la retouche. Dernière chose, je rajoute à cet objectif un filtre pro mist 1/4 pour diffuser un peu la lumière, ça donne un rendu plus doux.

Avec quels artistes aimerais-tu collaborer dans le futur ?

Aujourd’hui, je n'ai pas spécialement d’artistes avec qui j’aimerais bosser, je préfère voir ce que la suite me réserve, on a toujours de meilleures surprises en pensant comme ça. Mais pour répondre à cette question quand même, j’aimerais vraiment bosser à l’international. Je n'ai pas d’artistes précis, mais partir faire des photos pour un artiste à l’étranger, aux US ou n’importe où en vrai !

Apprends-tu de nouvelles compétences en dehors de la photographie ?

Carrément, je me tourne beaucoup vers la vidéo mais je suis à fond dans l’observation et l’apprentissage pour le moment. J’ai déjà fait pas mal de clips mais je souhaite vraiment acquérir d’autres compétences pour me trouver artistiquement en vidéo, réalisation... J'étudie le cinéma à côté de la photo, donc l’apprentissage du 7e art et de son langage, c’est ma préoccupation ces derniers mois.

Quels conseils donnerais-tu à de jeunes photographes qui souhaitent se lancer dans la photographie de mode ou le travail en studio ?

J’ai très peu fait de studio (d’ailleurs je pense beaucoup à m'y mettre sérieusement) mais aujourd'hui, je shoote le plus souvent en lumière naturelle ou en éclairage de concerts donc si j'ai un conseil à donner (et ce n'est que ma vision des choses), je dirais de comprendre comment la lumière écrit sur un capteur, comprendre le triangle d’exposition et surtout de s'exercer à Lightroom encore et encore. Pour mes photos, j’estime que c’est 50% prise de vue, 50% de retouche pour les plus artistiques. Pour moi, il ne faut pas hésiter à tenter des édits qui sortent des normes, d’amener une proposition visuelle et de savoir la défendre et vraiment, je me répète, mais avant ça, il faut comprendre comment la lumière vient écrire sur un capteur ou du film, c’est différent sur chaque modèle, chaque objectif et après ça viendra tout seul au bout de milliers de déclenchements. Et dernier mot : SHOOTER EN MANUEL.



Quels sont tes projets futurs ou tes ambitions pour ta carrière de photographe ?

Je partage peu de choses en ce moment sur les réseaux, je travaille sur différents projets, certains que je peux dévoiler, d’autres pas. Mais c’est étonnant parce que depuis la dernière interview que j’ai faite, les choses ont radicalement changé en à peine 2, 3 mois. Je fais beaucoup moins de photos actuellement, je travaille plus sur l’écriture de clips, la narration, la gestion de projets parce que ce sont des choses sur lesquelles je sais que j’ai beaucoup de chemin à faire et j’ai envie de nouveau de me prendre la tête sur de nouvelles choses. Je bosse surtout sur la préparation des futurs projets de mes gars de toujours, énormément avec Baddack, l’artiste pour lequel je gère la direction artistique générale, j’apprends beaucoup de choses sur la musique, comment mener à bien un projet, comment l’apporter et comment le défendre. On prépare des choses très cool avec le collectif de rap La Marmite pour cet été ! Enfin, généralement j’élargis mon activité sur d’autres choses que la photographie tout en continuant évidemment, ça reste mon principal secteur, et il se pourrait dans un futur proche ou lointain qu’une exposition ait lieu... à voir !

Merci à Hytrape pour cette interview, c’est un exercice vraiment lourd, grosse force à vous !

Merci à toi, c'était un plaisir de discuter de ta passion ! Que de la force pour la suite ! ;)

Cette interview avec Tom Giangrasso, alias Withtom, nous a offert une plongée fascinante dans l'univers d'un photographe talentueux et passionné. Son parcours artistique, ponctué de découvertes et d'apprentissages, est une source d'inspiration, rappelant que le voyage créatif est aussi captivant que le produit final. L'engagement de Withtom envers son art et sa volonté constante d'innover ne peuvent qu'inspirer le respect. Bien qu'il soit déjà établi dans le monde du rap français, il est clair qu'il ne fait que commencer. Withtom continue de repousser les limites de son art et d'explorer de nouveaux horizons. Il ne fait aucun doute que nous verrons encore beaucoup de ses œuvres marquantes dans les années à venir. Nous avons hâte de suivre son évolution et de découvrir ce qu'il nous réserve pour l'avenir. Un grand merci à Withtom pour cet entretien enrichissant et édifiant.

Vous pouvez retrouver son travail sur Instagram : https://www.instagram.com/withtom_/

Interview réalisé par @teocomyn