Brav, c’est cet artiste qui a fait ses classes aux côtés de figures éminentes telles que Médine, Tiers Monde et Ness&Cité. C’est aussi cet homme chevronné, fort de son expérience et de son engagement, qui nous touche rien qu’avec ses mots. Il ne se contente pas de chanter son rap, il le vit aussi, avec une authenticité propre, forgée par son parcours artistique parmi les grands noms du milieu. Avec Ça va, Brav questionne la superficialité de cette question quotidienne, révélant des tourments profonds. Au cours de notre entretien, le rappeur havrais a partagé avec nous son expérience, dévoilant les coulisses de son dernier single et les nuances de son expression artistique.
Comment ça va Brav ?
Ça va ! Je ne me laisse pas le temps de me poser la question si ça va ou pas, ça va !
Le titre Plus d'amour explore les contradictions humaines souvent négligées. Comment la musique peut-elle servir de miroir à la société selon toi ? Quelle était l’idée derrière ce clip où tu montres une certaine vulnérabilité ?
La musique est une projection de plein de choses, au-delà des idées, il y a déjà un ressenti. Quand tu prends la parole, tu prends forcément position, même si le sujet est simple. C’est un miroir de la société, mais aussi de moi-même, j’essaie d’être connecté au monde dans lequel je vis. Ce que je transpose dans ma musique, c’est un peu ce que je ressens dans ce monde-là et beaucoup de gens se retrouvent dans ce que je fais. J’essaie aussi d’être dans une sorte de neutralité. C’est important de mettre des mots forts sur des idées, mais de ne pas être définitif sur tes sentiments, parce que c’est ce que tu ressens à l’heure actuelle ! Demain, tu reviendras sûrement sur cette idée et tu te diras : “J’avais tort”. J’aspire toujours à être le plus neutre possible pour que la chanson soit intemporelle et que dans dix ans, les gens l’écoutent et se disent : “Il a toujours raison.” Mes prises de position sont fortes, mais je ne cherche pas à blâmer quelqu’un. C’est juste un constat, un fait.
On s’est posé deux questions lors de la réalisation de ce clip : À quoi sert un clip aujourd’hui et comment créer un clip puissant sans un budget important ? J’ai éliminé toute possibilité de production en studio et de mise en lumière, il me fallait quelque chose de simple. J’aime quand l’idée est plus forte que la technique ! Je pense qu’aujourd’hui, on se trompe souvent parce que l’on accorde trop d’importance à l’apparence plutôt qu’à ce que les choses racontent réellement. J’ai eu une chance incroyable pour ce clip. Quelqu’un m’a proposé ce spot assez fou, en me disant : “On a une gravière près de Strasbourg et on ne travaille pas le week-end, si tu veux on te la laisse.” Une autre personne m’a donné son piano dont elle voulait se débarrasser depuis longtemps, j’ai tout de suite dit : “Je le prends !” (haha). Le piano était aussi symbolique, l’idée de mettre le feu à la musique, de brûler ses passions pour se libérer et en découvrir de nouvelles.
Le projet Café Crève est une fusion d’expériences artistiques et humaines. Comment cette dualité se manifeste-t-elle dans ton processus créatif et les interactions avec ta communauté, notamment avec les drops phygitales ?
Ton dernier projet Parachute était également accompagné, mais d’un documentaire poignant. En quoi est-ce important pour toi d’ajouter cette dimension à tes projets ? Est-il essentiel pour toi que ton public puisse découvrir l’envers du décor de ta musique ?
En réalité, j’ai toujours fait ça. Souvent, lorsque je prends la parole dans mes stories, c’est pour me plaindre et dire que je ne vais pas bien, tout le monde se plaint. Mais c’est intéressant de le voir dans le milieu de la musique, parce qu’il y a beaucoup de déconstruction à faire, beaucoup de fantasmes autour de ce métier. J’ai rencontré beaucoup de jeunes lors de différents ateliers qui avaient des étoiles plein les yeux parce que je connais telle personne et qui pensent que je suis millionnaire, mais ce n’est pas vrai (haha). J’ai eu ce besoin de montrer la réalité des choses et de démontrer que c’est possible de le faire. Quand tu as une envie, une passion, fais tout pour que ça devienne ta vie, indépendamment de ce que cela peut générer. Après avoir traversé une phase compliquée dans la musique, je me suis rendue compte que tout le monde connaît un crash. 90% des artistes sont blessés et c’était important pour moi d’expliquer ce que l’on ne voit pas forcément, sur les questionnements personnels… La plupart des artistes pensent qu’ils ont raté à cause des maisons de disque, mais c’est peut-être parce qu’ils n’étaient pas prêts à ce moment-là d’y arriver, qu’ils n’ont pas fait les efforts pour y arriver. J’ai tout remis en question, je me suis regardé tel que j'étais et j’ai tout mis dans un documentaire.
Ça va. est ton dernier single fraîchement sorti, où tu parles notamment de blessures, de la paix enfin trouvée… Comment ce titre reflète-t-il ton propre parcours et les leçons que tu as apprises sur la véritable signification du “Ça va ?”
À la base le “Ça va ?”, c’est souvent une question que l’on pose, mais dont la réponse nous importe peu. Si je te dis que ça ne va pas, tu te sentiras mal, alors on répond “Ça va” machinalement. C’est une affirmation pour se convaincre que tout va bien, même si nous traversons tous des moments compliqués. Ma perspective actuelle est la redéfinition de ce “Ça va”. Soit je le laisse me manger et je ne suis pas sûr que ça va, ce qui va se refléter dans tout ce que je vais faire, soit je suis convaincu que ça va réellement. Depuis que j’ai cette conviction, les gens me trouvent changé. J’ai décidé de ne rien cacher, de me regarder, de me dire : “En vrai ça va. J’ai une vraie carrière dans la musique. J’ai la santé, Dieu merci !” Bien sûr, il y a des jours plus difficiles que d’autres, mais ça fait partie du jeu, justement pour que t'apprécie les moments positifs. C’est juste une perception de la vie. Si tu te souhaites le positif, tu l’auras, parce que tu auras tout fait pour le chercher.
Comment la musique a-t-elle été un soutien dans les épreuves personnelles que tu as pu surmonter ?
La musique, c’est aussi douloureux parfois ! Quand je mets Sade, je ne suis pas bien et pourtant je crois que ça me soulage de ne pas aller bien à ce moment-là. Souvent, avec toutes nos préoccupations, on n'a pas le temps de s’apitoyer. Il faut rester très concentré, ne pas flancher, mais quand tu t’isoles pour écouter un album, ça suscite des émotions. J’aime beaucoup lorsque ça réveille des sentiments douloureux pour me rappeler que ça va. La musique est un peu une mémoire, parce qu’elle te rappelle des moments précis de ta vie. C’est comme si tu mettais le doigt sur quelque chose qui t’a fait du mal, un “mal bien”.
Tu as fondé le label AprèsMinuit. Comment influence-t-il ta manière d’aborder la création musicale et les collaborations avec d’autres artistes ?
Pour le moment, les collaborations avec d’autres artistes ne sont pas très avancées officiellement. Mais je vois ça comme la partie solitaire de l’artiste, de représenter le moment où on est isolé. Souvent les artistes travaillent la nuit parce qu’il y a une autre vie beaucoup plus calme, dans un esprit un peu plus intime, qui facilite l’écriture et puis il y a une sorte de lâcher prise. Pendant la journée, tu accumules plein de savoir, plein de rencontres, plein de petites phrases ici et là, et le soir, tu fais un genre de résumé que tu exprimes plus facilement.
En écrivant pour d’autres artistes tels que Zaho, Kery James ou encore Ouidad, comment ajustes-tu ta plume pour représenter leur voix tout en préservant ta propre identité créative ?
J’apprends encore ! Au départ, je ne savais pas comment m’y prendre. J’ai écrit pour des artistes comme si c’était pour moi. À la base, j’ai écrit le morceau Post Scriptum pour moi. Je n’ai pas eu le temps de le sortir, parce que j’étais en plein doute et Kery James m’a demandé s’il pouvait le prendre, j’ai évidemment accepté, c’est le pape du rap. Il y a eu Shy’m aussi, où j’ai écrit pour elle, comme pour moi. Ensuite, j’ai compris qu’il fallait être à la disponibilité des artistes, être eux, et j’ai découvert une autre façon d’écrire qui m’a encore plus plu, celle de pouvoir être multiple à travers moi. J’ai appris à écrire pour moi en écrivant pour les autres, parce que j’ai réalisé que lorsque je passe deux heures à écrire une phrase où la rime ne rentre pas et que l’artiste me dit : “J’adore ça”, je lâche prise et d’autant plus quand je vois que la musique touche une fois sortie. C’est vraiment une discussion, il y a un peu de psychologie. Certains se livrent plus facilement et pour d’autres, où je n’ai pas besoin, j’ai compris. On parle mieux de soi quand on ne dit pas les choses et j’ai de la chance d’avoir un 6ème sens (haha). C’est une question de confiance aussi parce que j’ai un placement très chanson française et aujourd’hui, on penche plutôt vers de la musique très moderne. Mais finalement, ça apporte une plus value et certains me reconnaissent par mon écriture !
Étant présent dans le rap et la musique urbaine depuis longtemps, comment perçois-tu le rap d’aujourd’hui ? Quelle est ta vision de son évolution au fil du temps ?
Je trouve ça incroyable. Pour moi, le rap a toujours su se renouveler, se nourrir. C’est une musique codifiée, mais aussi très multiple, c’est une sorte de croisement de toutes les influences. Demain, tu peux retrouver du rap zumba, du rap emo… Il y a aussi un peu de ça dans les autres courants musicaux comme le rock, mais dans le rap, il y a vraiment de tout ! En ce moment, c’est l’afrobeat qui domine et ça évolue constamment. C’est un peu une musique de Super Saiyan, on s’inspire des autres, on inspire et on renaît. Quand il y a eu le courant de la trap, ça a donné dix ans de fraîcheur au rap ! Il y a des artistes qui émergent de partout, maintenant il y a plus de facilité. Il y a un côté décomplexé de la musique qui me plaît, certains réussissent à faire une punchline incroyable avec trois mots.
Y a-t-il un titre ou un artiste que tu écoutes en boucle en ce moment et que nous devrions absolument ajouter à notre playlist ?
En ce moment, j’écoute un artiste rock qui s’appelle Bon Iver. Il me semble que son premier album a été créé pendant une période de dépression, suite à une rupture sentimentale de Justin Vernon, qui a introduit une touche de rock autotuné. Je pense notamment au titre Woods, repris par Kanye West, qui a collaboré avec le chanteur lui-même. Puis Tif, qui je trouve, a réussi à amener sa personnalité et son histoire dans sa musique. Quand je l’écoute, j’ai l’impression que je suis Algérien ! J’ai adoré sa session live, sa musicalité et ses placements incroyables.
Merci encore Brav, on espère te voir sur scène très prochainement !
En attendant, on vous laisse écouter Ça va :
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Écrit par Camille Noel Djaleb (cosycam)