Récemment, Hamza rappait dans les sons Murder et Tsunami, issus de son dernier album Sincèrement sorti ce 17 février, « Avec moi la noche est dolce comme Gabbana » ou encore « j’arrive en LV clean, Prada clean, Fashion week ». Ces références aux marques de luxe sont, par ailleurs, devenues ordinaires et habituelles dans le genre musical. Pour cause, il n’est pas risqué d’assurer aujourd’hui que la mode et la musique, plus particulièrement le rap, sont étroitement liées artistiquement. Si cela découle d’une influence mutuelle, à l’heure actuelle les deux secteurs ont véritablement besoin l’un de l’autre.
Les rappeurs exercent désormais un métier d’image. Ils s’entourent de stylistes et adoptent des looks toujours plus pointus, cherchant à construire une identité visuelle et artistique remarquable et se différencier de la masse. De leur côté, les marques utilisent la notoriété de ces artistes afin de toucher un public plus grand. Ceux-ci, en plus de se livrer à des collaborations avec les enseignes de luxe, deviennent littéralement les nouvelles stars des Fashion weeks. On les retrouve en tant que modèles défilant sur le Catwalk, ou comme invités directement au front row.En vérité, pour appréhender cette cohésion, il est important de revenir sur le passé commun des deux industries.
Une histoire commune qui démarre par la rue
Le rap, qu’il soit français ou anglophone, a en réalité toujours été relié à la mode. C’est dans le Bronx, à New York, aux États-Unis, et dès le début des années 1970, que la culture hip hop est née. La précarité régnant, le rap était mêlé aux drogues et guerres de gang. Ainsi, le fait pour les rappeurs de s’afficher dans leurs clips et sur leurs pochettes d’album avec des marques de luxe, des montres ou des bijoux prestigieux prouvait leur succès et la survie de leur milieu. Cette réussite ostentatoire était également un moyen d’imposer leur crédibilité et leur puissance. De cette manière, ils commencent à parler des marques de mode dans leurs sons respectifs.
À la fin des nineties, certains artistes se sont révélés être de vrais précurseurs de tendances. C’est le cas de Notorious B.I.G qui portait déjà des chemises Versace, l’iconique Jesus Piece sur ses chaînes en or, ou bien évidemment les sweats Coogi très colorés. On peut citer aussi Puff Daddy et ses éternels diamants aux oreilles, abonné aux grillz, aux costumes de marque, aux larges lunettes de soleil et à l’oversize. Enfin, comment oublier le style workwear de Tupac Shakur alimenté de jean Baggy et salopette floqués Carhartt ou Dickies, de vestons en cuirs et de bandanas.
Secouant fortement le monde de la mode, ces rappeurs ont concrètement renforcé cette liaison entre luxe et rap. À tel point, que le simple fait pour eux d’apparaitre avec une pièce précise ou d’en parler dans leurs sons pouvait faire exploser les ventes de celle-ci. On pense par exemple au groupe IAM, qui chantait en 1993 dans leur morceau Je danse le Mia « je me souviens des soirées où l’ambiance était chaude et les mecs rentraient Stan Smith aux pieds ». Cela avait permis à Adidas de voir les ventes de la paire tripler.
Une influence actuelle retrouvée avec le rap anglophone et français
Les acteurs du rap américain, à ce jour, ne se contentent plus seulement de faire des odes au luxe dans leurs sons, mais fondent désormais leur propre marque. A$AP Rocky, véritable icône mode et interprète de Fashion Killa où il y cite d’innombrables marques de luxe, a désormais fondé AWGE ( Asap Worldwide Global Enterprise), un collectif de créateurs, dont certains de mode. Il en est de même pour Travis Scott avec son label Cactus Jack. D’autres rappeurs ont également leur propre marque, entre autre Tyler the Creator avec Golf le Fleur ou Drake avec OVO (October’s Very Own).
Plus que des rappeurs, ils s’avèrent être des influenceurs dictant les tendances à suivre et plus encore, nos manières de nous habiller. De cette façon, Young Thug a détourné largement les stéréotypes et prôné l’unisexe en s’affichant avec des robes. En ce moment, la drill UK et notamment le rappeur Central cee impacte énormément le vestiaire de la jeunesse en propageant un tout nouveau style. Des pièces comme les cagoules, les bonnets, les doudounes, les sacoches et des marques telles que Kalenji, Quechua ou Trapstar se retrouvent sur le devant de la scène, loin du luxe courant.
Jacquemus a aussi fait appel à Central cee en collaborant avec lui pour sa collection automne-hiver 2022-2023. L’enseigne a dévoilé sur son Instagram une série de clichés de l’artiste portant les nouveaux articles à venir, photographié par Oliver Hadlee Pearch. C’est ainsi et justement que nombreuses sont les marques qui ont comme égérie ou s’entourent des rappeurs, et ce, depuis les années 2010. A$AP Rocky est devenue égérie Dior en 2016 et a travaillé par la suite avec J.W Anderson et Gucci. Travis Scott, lui, est devenue celle de Saint Laurent en 2018. Dernièrement, Kanye West a ouvert le défilé printemps-été 2023 de Balenciaga, en plus de sa collaboration avec Adidas pour Yeezy, récemment rompue.
En France, c’est la même chose. On peut parler de JoeyStarr qui fonde la marque COM8 en 1998 ou de Booba qui fonde Ünkut en 2004. Le style dans le rap français est quelque chose d’extrêmement important. Take a Mic, rappeur toujours au top des dernières tendances vestimentaires avec des looks alliant pièces fortes et bon gôut. SCH, sans cesse ultra sappé, un style « caméléon » et une attention portée à son image irréprochable. Shay, une allure aux influences matrix, très reconnaissable et inimitable. Ceux-ci sont autant de preuves que l’industrie de la musique urbaine en France connaît la valeur et l’influence de la mode sur son art.
Les marques collaborent également avec les rappeurs français. En 2019, S.Pri Noir devient égérie Cartier, après avoir travaillé avec Adidas et Kenzo, Shay devient celle de Burberry, et la même année, le groupe PNL arbore une veste Off-White spécialement conçu pour eux dans son clip Au DD. Pour finir, Koba la D a défilé pour Casablanca en 2022.
Une tendance qui s’est inversée
Au départ, les marques de luxe ne voulaient pas être associées au milieu du rap, à cette culture et ces personnalités du « ghetto ». Ces mêmes rappeurs dont elles ont tenté de se distancier représente pour elles aujourd’hui les meilleurs alliés. Alors que Lacoste n’appréciait pas la pochette de l’album Quelques gouttes suffisent du groupe Ärsenik sorti en 1998 où les membres portaient fièrement le crocodile apparent, elle collaborera avec les artistes Moha La Squale et Roméo Elvis en 2018 et 2019.
De même pour Timberland. La botte fut portée par toutes les icônes hip hop des années 1990. C’est ainsi que la marque se tenait à l’écart des groupes Boot Camp Clik, Wu-tang clan et Mobb deep et de Notorious B.I.G et Nas à qui elle devait cependant le succès de ses paires. Celle-ci travaillera par la suite avec Suprême et Nas. Cette année, une édition spéciale est même prévue pour les 50 ans du hip hop : les hip hop royalty boots.
Ces retournements de situation s’expliquent par un seul et même constat. Le rap est le genre n°1 écouté dans le monde. Aussi, l’objectif des marques étant d’avant tout de toucher une audience plus grande, les auditeurs rap sont la cible parfaite.
Finalement, la relation entre la mode et le rap est solide et durable et notre rapport au rap influence forcément celui qu’on a à la mode et inversement. Nos achats de pièce sont, quelque part, dûs à leur démocratisation par des artistes influents, qui eux-mêmes continuent de se faire remarquer avec des looks toujours plus travaillés.
Write by @jade_moniz.